Emilie Giaime

Emilie Giaime La Maison du Directeur
Emilie Giaime a étudié la philosophie et le cinéma. Elle est docteure en Histoire contemporaine et chargée de cours à l’Institut Catholique de Paris. Elle travaille sur l’histoire culturelle des représentations, l’histoire des médias et du cinéma, l’histoire du féminisme, les questions de genre et de sexualités. Elle étudie le pouvoir performatif des images et, en explorant des sources inter-médiatiques diverses, entreprend d’écrire une histoire des imaginaires au tournant des années 1960.
En parallèle de ses travaux de recherche, Emilie Giaime a travaillé dans les médias (France Télévision, émission Arrêt sur Images sur France 5). Elle a fondé la revue Gestes et collaboré au magazine Le Tigre
Elle est l’autrice de livres  :
La Barbe ! Éditions du Tigre. Reportage au long cours aux côtés des militantes du groupe d’action féministe «  La Barbe  ». L’occasion d’un tour d’horizon de l’histoire des femmes et des engagements féministes. 
Mademoiselle, Éditions du Tigre Entre univers du luxe et rudesse du salariat, description immersive de l’envers du décor des Galeries Lafayette. Entretiens, récits et aventures. 
Forces de l’ordre et du désordre – Quatre entretiens avec des flics et des banditsÉditions du Tigre. Deux policiers et deux braqueurs, quatre récits de vies, quatre voix par lesquelles se dessinent, à vingt ou trente ans d’intervalle, les contours du licite et de l’interdit.
Elle a également collaboré aux essais
Le Cauchemar médiatique, Denoël, en collaboration avec Daniel Schneidermann. Du sentiment d’insécurité dans la présidentielle de 2001 au buzz sur le Loft, première télé-réalité française, décryptage des phénomènes d’«  emballements  » médiatiques.
Capitaine Jules Allard : Journal d’un Gendarme, 1914-1916, Bayard, avec Arlette Farge. Transcription et analyses des carnets inédits d’un capitaine de gendarmerie.
Sa thèse, écrite en grande partie en résidence à la Maison du Directeur, est en cours de publication sous forme d’essai. Elle a été dirigée par Arlette Farge et soutenue publiquement le 13 décembre 2022 à l’EHESS, devant un jury composé de  : Antoine de Baecque, Michelle Perrot, Geneviève Sellier, Myriam Tsikounas, Ginette Vincendeau.

la thèse

«  Brigitte Bardot au procès de « la femme moderne »  : un événement d’opinion au tournant des années 1960 en France  ».
Cette recherche est un voyage dans le paysage social et les imaginaires de 1960. Elle ouvre un réservoir de mots, d’images et de fantasmes surgis du passé  : ceux qu’a suscités Brigitte Bardot en ses heures de gloire et d’opprobre, au tournant des années 1960. Mots de journalistes, de cinéphiles ou d’intellectuel.le.s, de Simone de Beauvoir à Edgar Morin  ; et mots d’anonymes, de jeunes spectatrices et spectateurs dont j’ai retrouvé les traces dans des archives pour la plupart inédites  : le courriers de lecteurs d’un magazine aujourd’hui disparu, Cinémonde.
Dans cette société fanée qui se rêve ultra-moderne, on se déchire sur tout : la guerre coloniale, les grandes idéologies, l’essor du capitalisme ou l’influence du cinéma (école de la vie ou école du délit  ?). Et, à tout propos, on se déchire sur elle, car elle exacerbe les clivages et les contradictions  : égérie de la jeunesse sur fond de conflit de générations  ; déesse et marchandise d’une nouvelle société de spectacle et de consommation  ; bombe sexuelle et féministe d’avant-garde, en plein âge d’or de la femme au foyer, et à l’heure où l’avortement est jugé comme un crime, mais pas le viol.
En 1960, tout le monde a son mot à dire sur «  BB  », que ce soit pour lui vouer un culte ou lui souhaiter la mort, le silence et l’oubli… Quitte à alimenter la machine à discours. Pourquoi tant d’acharnement à la décrire ou à la décrier  ? Au fil de cette enquête, j’ai découvert que, pour ses contemporain.e.s, ces paroles sur Bardot ont été une façon de dire le monde, de tenter de le saisir et de se l’expliquer par son intermédiaire. Élément perturbateur (des convenances, des injonctions, des traditions), elle sert in fine d’élément révélateur, ou de décodeur de réalité.
Dans le flot de paroles qu’elle libère, elle éclaire les non-dits et les faux-semblants, et jusqu’aux sujets les plus sensibles  : sexualité, avortement, aliénation… Elle sert même évoquer ce dont on ne peut parler explicitement sans défier la censure  : le combat conjoint pour l’indépendance politique des femmes et de l’Algérie, en écho avec le drame de la jeune indépendantiste Djamila Boupacha, violée par des militaires français.
 La Vérité, film d’Henri-Georges Clouzot sorti en 1960, sert de point d’entrée dans la réflexion. Brigitte Bardot y interprète un personnage de jeune femme séductrice et criminelle inspiré de Pauline Dubuisson, dont le procès a défrayé la chronique en 1953. Après l’étude génétique des sources et de la fabrication du film, on compare sa réception par la critique établie, par les jeunes cinéphiles ou encore le public «  ordinaire  ». 
L’analyse permet de révéler des lectures plurielles et genrées, mais aussi générationnelles et politisées. Elle souligne la place du cinéma, terrain d’affrontement entre «  tradition de qualité  » et Nouvelle Vague émergente, et plus largement lieu d’interrogations sur les rapports fiction/réalité. La focale s’élargit ensuite à l’analyse de la persona de Brigitte Bardot, que l’on étudie comme symbole et symptôme d’une société en mutation. À l’intersection d’une histoire culturelle des représentations et d’une histoire des femmes et du genre, cette recherche révèle que, loin d’un «  creux de la vague  », la période prépare déjà les transformations socio-politiques à venir avec la décolonisation, les victoires du MLF et les grands débats sociétaux sur l’abolition de la peine de mort.